Corpus of Electronic Texts Edition

Background details and bibliographic information

Premier Voyage de Charles-Quint en Espagne, de 1517 à 1518 [extrait]

Author: Laurent Vital

File Description

Electronic edition compiled by Beatrix Färber

Proof-read by Juliette Maffet

Funded by School of History, University College, Cork

1. First draft, revised and corrected.

Extent of text: 9525 words

Publication

CELT: Corpus of Electronic Texts: a project of University College, Cork
College Road, Cork, Ireland—http://www.ucc.ie/celt

(2012)

Distributed by CELT online at University College, Cork, Ireland.
Text ID Number: F500000-001

Availability [RESTRICTED]

Available with prior consent of the CELT programme for purposes of academic research and teaching only.

Notes

We are indebted to Jeroen Nilis M.A. for bringing this text to CELT's attention. An English translation is available in a separate file at www.ucc.ie/celt/published/T500000-001/index.html. About the author, Laurent Vital, the editors (Introduction, vi) cite Valère André: 'Laurentius Vitalis, Caroli V nobilis domesticus et in plerisque expeditionibus atque itineribus perpetuus comes, scripsit gallice sermone: Diarium ejusdem Caesaris ab anno 1517 usque ad 1550, quod apud Alexandrum ducem Croyum et Havraeum ms. extare solet et in bibliotheca Hieronymi Winghii, canonici Tornacensis, quae hodie publica est ejusdem ecclesiae.'

Sources

    Source/Manuscript
  1. Paris, Bibliothèque Nationale, no. 10220. An extract of the autograph made in 1618.
  2. Bruxelles/Brussels, Bibliothèque Royale, no. 14523. Acquired in 1835, formerly at the Library of Tournai Cathedral. This manuscript was formerly in the possession of, and had been annotated by Jérôme van Winghe, canon of the chapter at Tournai, a noted bibliophile who left all he owned, including his collection of 6000 voumes, in 1637 to the chapter on condition that a library be built with the funds and his books housed in it.
    Select bibliography
  1. Valère André, Bibliotheca Belgica (Louvain 1643) p. 623.
  2. Louis Prosper Gachard & Charles Piot, Collection des Voyages des Souverains des Pays-Bas (4 Vols., Brussels, 1874–82) III, 1881.
  3. Bernabe Herrero, Relación de Primer Viaje de Carlos V a España (1517–1518) por Lorenzo Vital (Madrid 1958).
  4. Antoni Maczak, Travel in Early Modern Europe (London 1995).
    The edition used in the digital edition
  1. Louis Prosper Gachard, Charles Piot, Premier Voyage de Charles-Quint en Espagne, de 1517 à 1518 in Collection de Chroniques Belges inédites, Publiée par ordre du Gouvernement. Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Commisson Royal d'Historie Collection des Voyages des Souverains des Pays-Bas. Publiée par MM. Gachard et Piot de l'Académie Royale Royal d'Historie, etc. . , Bruxelles/Brussels, F. Hayez, Imprimeur de la Commisson Royal d'Historie (1881) volume 3 page 1–303: 276–296

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Project Description

CELT: Corpus of Electronic Texts

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The present text covers pages 276–296 of the description.

Editorial Declaration

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The text has been checked and proofread twice.

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Interpretation

The editor's practice has been retained.

Canonical References

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Profile Description

Created: By Laurent Vital Date range: 1517-1518.

Use of language

Language: [FRM] The text is in Late Middle French. Some expressions used are taken from Flemish.
Language: [EN] The preamble is in English.

Revision History


Corpus of Electronic Texts Edition: F500000-001

Premier Voyage de Charles-Quint en Espagne, de 1517 à 1518 [extrait]: Author: Laurent Vital

Preamble

This is a remarkable account by Laurent Vital, a royal secretary, of a chance visit to Kinsale by Archduke Ferdinand in 1518. Though it has hitherto been neglected but it is of great significance. As well as describing the landing and entertainment of the royal party in Kinsale following stormy weather which disrupted a voyage from Spain to the Low Countries, it also provides a lot of detail about Irish social customs and dress. Indeed Vital's description of Irish dress is one of the finest we have and there can be little doubt that his observations influenced Albrecht Dürer's drawing of the Irish in 1521 and perhaps also later ones by Christoph Weiditz and Lucas De Heere. Its frankness, curiosity and humour exemplifies all that is best in the Renaissance spirit.

Vital's account was brought to our attention by Jereon Nilis of the University of Leuven.

Hiram Morgan, March 2012.


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De l'embarquement de monseigneur l'archiduc don Fernande, pour venir en Flandre.

Le XXIIIe de moy, et jour de la Penthecoste, le vent devint bon; mais, pour cause de la solemptité on différa d'embarquier jusques à lendemain, que lors monseigneur l'archiduc se embarqua et toutte la compaingnie, envyron le soir, à intention de faire voille le lendemain au plus matin. Mais, de mal venir, la nuyctie que on coucha sur l'eauue le vent devint contraire; pourquoy mondict seigneur desbarqua, le mardi au matin, sauf que les baghues demorèrent sur les bateaulx. Le vent estoit adoncques noord-oost, assés bon pour sortir du havre, mais contraire pour venir pardechà. Le lendemain, le merchredi, de recief le vent devint bon, assavoir west-noordt-west, mais maulvais à sortir du port. A ceste cause, mondict seigneur se rembarqua, contre le soir, pour, le lendemain à matin, dernière feste de Penthecoste, faire voille: et convint lors à force de rymmes et pinaches, amener hors du havre les grantz navires, jusques à l'embouchement de la grant mer; et fut à faire ainsi que à quattre heures, au soleil levant qu'on feist voille. Là vint prendre congiet le marquis d'Aghillar, en se recommandant tousjours à sa bonne grâce, et luy disant adieu, aveucq les larmes aux yeulx, pour cause que il l'aymoit et il l'avoit eu longtamps en garde. Puis wida1 du grant navire et se mist en une pinache, pour retourner vers le port de Sainct-Anderé. Aussi feist le filz de messire Thyerry le Bègue, qui estoit housé et prest à mectre le pied en l'estrier, pour courir en poste devers le Roy, et luy annuncier le partement de monseigneur son frère. Or, avant que mondict seigneur se partist de Sainct-Anderé, morut ung de ses archiers de corps, nommet petit Jan le Lacquaix, et aussi un des lacquaix de monseigneur du Reux. Certes les voilles ne furent pas sitost dressiez, que, à l'aide de Dieu et du bon vent que lors


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faisoit, en peu de tamps après, on se trouva fort eslongé du pays, tellement que de l'après-disner on perdoit entièrement la veue du pays de Castille et des haultes montaignes qui là sont, que parfois on voit bien de XL lieuues loing. En la flotte de mondict seigneur n'y avoit que cincq grosses navires, et la barcque. A chascun bateau y avoit ung chief et capitaine, pour avoir regard partout, et conduire en ordre et police ceulx de dedens; et ce par l'ordonnance de mondict seigneur, affin que chascun leur obéisse, sur paine d'estre griefvement pugnis, qui feroient le contraire. Là y avoit, par ordonnance du Roy, ung bien honneste anchien personnaige, pour estre capitaine général de touttes les navires, et se nommoit le Scave2, lequel se tenoit au bateau de monseigneur du Reux; ung gentilhomme nommet Boubaix en estoit capitaine; le seigneur de Berquem3 estoit capitaine d'ung aultre bateau, lequel avoit en son navire tout plain de gentilzhommes et aultres gentz de bien, et aussi une grande partie des officiers et serviteurs de monseigneur. Et du bateau de l'escuyrie, ung gentilzhomme espaingnart, nommet Scalant4, en estoit capitaine. Du bateau de monseigneur de Saimpy ung gentilhomme de Faerrette en estoit capitaine; mais de la barcque je ne scay qui en avoit la charge, et croys que dedens n'y avoit que maronniers. Dedens le bateau y avoit, pour l'acompaingnier, le seigneur du Reux et le seigneur de Saimpy, le seigneur de Molembais et tout plain de gentilzhommes , comme Lalaing, Croisilles, Houffalize, Ravel, Charlo d'Achey, et aultres de diverses nations, desquelz ne me souvient de leurs noms; aussi ung honneste gentilhomme castillan, qui estoit grant escuyer de monseigneur, lequel fut tousjours malade durant ce voiage, par ce qu'il ne puvoit porter la mer. Aussy y estoit le filz du marquis d'Aghillar, et tout plain d'aultres josnes gentilzhommes, Andrieu de Douvrein, son sommelier de corps, ung médecin espaingnol, deulx chappellains, deux valletz servans elle dessusdict capitaine La Scave, aussi le maistre de l'artillerie Jennet de Taremonde. Icelluy capitaine La Scave avoit bien les termes de estre tout homme de bien, et estoit sa conversation bien honneste; et pour ce que le Roy avoit deuement esté adverty de ses faictz dignes de mémoire et des bons services qu'il avoit faict à son

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grant père, le Roy d'Aragon, ordonna qu'il yroit aveucq Monseigneur son frère, jusques en Flandres, pour le assister en son voiage, se il en avoit à faire. Entre les faictz de guerre d'icelluy capitaine, me fut racompté que, au tamps que son maistre le roi d'Aragon avoit la guerre aux Franchois pour la querelle du royaulme de Naples , ce capitaine fut adverty que, une navire de guerre franchoise avoit pillet et démonté ung navire de Castille, et mis à mort la pluspart de ceulx de dedens, pour enmener myeulx à saulveté les biens qui dedens estoient, envers Venise. Ce congnoissant, et pour soy vengier de cest oultraige, à toutte diligence, le poursuyvy de si près; et la navire franchoise fut constraincte de soy saulver dedens le port et havre de Venise, qui se clot d'une grosse chainne à travers de l'eauue. Ainsi que ce capitaine Le Scave cuida entrer dedens ce port, et voyant que le passaige avoit esté cloz , à la requeste desdictz Franchois, feist mectre hors son boit, et bailla charge à aulcuns de ses gens, affin qu'ils allassent devers messeigneurs de Venise pour leur prier qu'ils luy missent hors de leur port son ennemy qui là dedens s'estoit refugiet. Et se ce ne faisoient, il sçavoit bien ce qu'il en avoit à faire. Ceulx de Venise, pour response, luy firent dire que ilz n'avoient poinct de guerre aux Espaingnars ny aux Franchois, ne congnoissance de leur différent; et que se il se fust retiré en leur fort contre ses ennemys, que ils luy eussent acordé place, comme à ce bateau de Franche, qui s'y est venu mectre à saulveté. Et pour ce luy estoit besoing d'avoir passience ou de atendre jusque il parte d'icy. Voyant ce capitaine, par ceste response que à son ennemy aborder ne pouroit, et considérant qu'il avoit vent à la voline5, aussi bon pour y aller que pour retourner, et que son bateau estoit neuf et bien esquippé, aveucq ce qu'il estoit eschauffé et anymé par ung désir de soy vengier, feist mectre tous ses voilles, et comme ung homme fourcené et délibéré de mectre tout contre tout, sans regarder au péril où il se mectoit, vint, de grant puissance, chocquier et donner contre ladicte chainne ung si grant hurt6, qu'il la rompy et entra dedens et vint trousser le bateau de son ennemy et l'enmena aveucq luy; et ceulx qui à l'aborder se défendoient, il les feist ochir. Pour laquelle folle emprise, fut, en Castille, fort extimé. Et combien que ce fust oultrageusement et follement faict, aussi fust ce vaillamment

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besongniet; à cause de quoy, sa renommée accrut parmy le roialme de Castille. Ce capitaine, de quoy parlons, estoit fort bon pilote, vaillant en guerre et bien entendu sur mer: lequel pour obéyr au commandement du Roy, nostre sire , vint aveucq monseigneur jusques en Flandres. Au bateau de monseigneur y avoit ung XXV de ses archiers et de ses officiers de tous estas, comme de la chambre, garde-robbe, panetrie, eschanssonnerie, fruicterie, sausserie, cuisine et aussi des aultres. Et combien que je y estoye, ce n'estoit point par nécessité, mais par l'ordonnance de mondict seigneur, et n'y servoye que de recoeullier et mectre en mémoire ce qui survenoit durant le voiage et de quoy je povois avoir cognoissance.

Des adventures qui surviendrent pendant que mondict seigneur estoit sur la mer.

En parlant des adventures de la mer, la première journée que monseigneur l'archiduc feist voille, j'avois, avant que le soir venist, faict plus de XXV lieues de mer; et envyron les IX heures du soir, ainsi que au jour faillant, alla faire des grandes coruscations7 et esclitres8 en l'air, qui dura la pluspart de la nuyct, sans pourtant tonner ne plouvoir. Et qui estonne les marronniers, ce fut que subit se leva ung tourbillon de vent ruide et grant, que vint bien impétueusement donner dedens les voilles; à cause de quoy on cremoit que il ne s'ensuyvit quelque grande tourmente, par ce que ce en estoient assés les seingnes. Doublant ladicte tourmente, à toutte diligence on feist oster les voilles et ne y laissa on que le voille de treucquet9; et firent quant et quant leurs aprestes pour résister à l'encontre de ladicte tourmente. En ceste craincte et doubte fut on toutte la nuyct; mais — Dieu mercy — le tamps se passa assez gracieusement et changea aulcunement en west-noordt-west, cachant10 plustost vers Normandie, pourquoy convint waucrer11 sur la mer, d'ung costé et d'aultre. En ce tamps morurent sur les bateaulx trois des serviteurs du Roy et de mondict seigneur, desquelz


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fut le premier Jan Balleman, lequel avoit loingtamps esté malade en Castille; l'autre fut Hipolite, sommelier de la cave, et devint malade huict ou IX jours devant l'embarquement; le IIIe fut Hans, ayde de portier, qui avoit longtamps trainnet du mal de ses jambes. Tous trois furent, après leur trespas, gectés en la mer. Je veys les deulx floter sur l'eauue aveucques les undes, mis en tonneaulx qui alloient où le vent les charroit. Le samedi on choysit12 deulx bateaulx de poissonniers de Biscaye, qui alloient en Engleterre, et furent joyeulx de avoir trouvet la flotte de monseigneur affin de aller tant plus seurement. A ce jour, envyron les cincq heures du soir, le vent devint fort ruide; à ceste cause, la mer s'esmeult tellement, que les marronniers montoient et dévalloient aveucq ces grandes undes d'eauue et les faisoient si fort dansser, que à grant peine debout tenir on se povoit. Le ruide tamps dura toutte la nuyct et jusques à lendemain, le IIIIe jour du voiage de mer, qui estoit le jour de la Trinité. A laquelle saincte journée, à cause de ceste tourmente, mondict seigneur promist, que, luy venu pardechà, yroit de Bruxelles à pied visiter Nostre-Dame de Haulle13, affin qu'il pleust à Dieu que, sans fortune, il peust faire son voiage. Pareillement le promisrent les seigneurs qui estoient aveucq luy. Ce ruide tamps continua toutte la journée et la nuyctie14 ensuyvant d'ung vent contraire, qui à merveilles fort traveilloit les navires, pour les grandes undes qui dedens cesdictz basteaulx se eslevoient et saultoient; et quoique on pompa nuyct et jour, si ne sçavoit on tant tirer d'eauue hors par ladicte pompe, en une heure, qu'il n'y en entroit plus en ung quart d'heure: tellement que s'il eult plus longhement duré, tous estoient en dangier de estre submergiez et caichiez au fond de la mer. Car les chevaulx qui nestoient pas au plus bas étage de la navire, furent deulx Jours enthiers en l'eauue jusques à my-jambes. Le lendemain, par ung lundi, Ve jour du voiage, feist encoire ruide tamps, ung vent de noordt-oost, qui dura jusques envyron les quattre heures de l'après-disner; et avoit on bien affaire de tenir, contre la mer et le vent, la poincte de son bateau. Là sembloit, à veoir passer leauue, que le bateau volast par les undes, qui ainsi nous eslongoient, et sembloit que ces undes deussent tout fendre et escarteler, ainsi ruidement et impétueusement venoient chocquier contre les grantz bateaulx. Ce vent contraire

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continua bien par cincq jours enthiers, au grant désavantage et reboutement de mondict seigneur. Le mardi, premier jour de juing, les pilotes firent tenter, aveucq un plomb, le fond de la mer, et n'y trouvèrent que iiij toises de parfond, et congnurent qu'ilz estoient à VIII lieuues près de Belle-lsle qui est le premier port du costé vers Bretaigne. Le mercredi, VIIe du voyage, feist encoire ruide tamps et tourmente, et estoit on là ainsi que à l'endroit du canal, et n'y convenoit que le vent d'aval, qu'on dict zut-west, pour venir en Flandres; et en brief se trouvèrent hors de la mer d'Espaingne. Mais veu que ce vent on ne povoit aprocher Engleterre, fut conclud de prendre le premier port que ou trouveroit au cartier d'Engleterre, plustost que vers Bretaingne. A ceste cause les pilotes conduisoient, le plus qu'ils povoient, à la main gauche, vers Engleterre. Le joeudi, VIIIe jour du voyage, qui estoit le jour du Sacrement, les pilotes prommoient15 ce qu'ilz ne luy seeurent tenir: c'estoit de le mener à Forlinghe16, et là prendre port pour recouvrer de la nouvelle eauue fresche et doulce et des nouveaulx vivres frez, à cause que Forlinghe est une petite isle et bon port, à sept lieues près de Cornuaille. Ces pilotes disoient en estre tout près, par l'araine17 et gravier de la mer qu'ilz raportèrent de leur plomb. Touttesfois ilz faillirent à y aborder, par trop prendre à la main gauche et plenièrement en passant a huiet ou X lieuues près dudict Forlinghe, sans la veoir, pour la bruyne et obscurité du tamps, qui dura par deulx jours enthiers, Après ce, tentèrent de rechief le fons, ainsi que ung petit devant jour faillant, et trouvèrent que leur plomb estoit chargiet de terre fangeuse; par où ils perchurent qu'ils avoient trop tiré vers le nordt, et se plus avant eussent naigiet, ils eussent laissiet Engleterre, Escoche et Yrlande à la bonne main. Parquoy, tout honteulx d'avoir ainsi failli, se retournèrent dont ilz venoient, espérant tousjours de prendre port audict Forlinghe. Mais ce vent contraire dura bien huict jours: parquoy ne seeurent prendre ce port, sinon tenir la mer, comme on feist le plus longhement que on poeult. Le vendredi IXe du voyage, feist encoire grant vent, et ainsi que les pilottes extimoient que ilz povoient bien estre retournés comme à l'endroit du canal. A ceste cause se tenoient celle part, tousjours la poincte de leurs bateaulx

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vers Flandres, atendant le vent d'aval. Mais c'estoit pour néant. Voyant ce, fut advisé par mondict seigneur, aveucq messieurs les chiefz et nobles et les pilotes, que il convenoit quelque part prendre port, pour cause des vivres et eauue doulce, qui commenchoient à faillir. Et dirent ces pilotes qu'ilz ne véoient point de plus aparant que de prendre terre en Irlande, dont ilz estoient à iiij lieuues près, ou de retourner en Castille, et là alendre le bon vent. Oyant ces opinions, monseigneur l'archiduc dist au seigneur du Reux, que puisqu'il convenoit prendre port, que il aymoit myeulx aller vers Irlande, à cause que de ce vent on y povoit bien aller à la voline18. En effect on exploicta si bien que, le samedi, Xe, on estoit si aprochiet, que le lendemain, XIe du voyage, ainsi que à IX heures du matin, on véoit tout à plain le pays d'Yrlande; et y arriva on de l'après-disner, ainsi que à cinq heures à l'endroict d'ung port de mer, auprès d'une villette, nommée Quinquezalle19, là où de cedict port, jusques à la ville, y povoit avoir myeulx d'une bonne lieuue d'eauue. Et à ung tournant, ainsi que en my-voye, y avoit ung chasteau, pour garder que nulles navires n'y entrent sans leur congiet. Quant ceulx de la ville cognurent que on arrivoit celle part, furent esbahis de là veoir si grantz navires arriver. Parquoy, pour sçavoir quelz gens nous estions, ceulx de la ville envoyèrent celle part aulcuns de leurs députez, qui sçavoient parler divers langaiges, et sçavoir à quelle intention on estoit là venu. Quant venus furent, on les feist monter dedens le bateau de monseigneur, et affin qu'ils ne le cognussent, on luy avoit osté son ordre de la Thoyson; car on ne se voloit de tout poinct donner à cognoistre. Là trouvèrent ces députés la seigneurie, que bien révéramment saluèrent. Puis dirent leur charge, en langaige anglois, extimant que aulcuns des nostres les entendroient myeulx que en leur langhe. Quant on oyt que ils ne demandoient aultre chose de sçavoir que s'ils estoyent amys à ceulx de la ville, ou ennemys, on leur dict, que on estoit amy, et que c'estoit le grant maistre d'hôtel du Roy catholicque, qui, en venant de Castille, pour tirer vers Flandres, ne avoit, pour la tourmente et malvais tamps, poeult si tost aborder en Flandres que il cuidoit. A celle cause estoit arrivet celle part, pour soy refreschir et ravitaillier de vivres fraictz, en bien payant, et illec atendant le bon vent. Ces députés furent joyeulx de ces nouvelles, espérant

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de en amender, et pariellement furent ceulx de la ville, quant ils entendirent le vray par leurs gens. Mais premier que ilz retournassent dire les nouvelles, mondict seigneur ordonnast que on les abruvast et festoyast, comme on feist. Puis s'en retournèrent joyeusement en leur ville. Or, avant que ces députés retournassent en leur ville, le seigneur du Reux avoit envoyet en la ville ung seigneur d'église, qui savoit bon anglois, nommet messire Jan de Grenade, affin qu'il se enquist, s'il y avoit dangier de aller là, et qu'il se gardist bien dire que monseigneur l'archiduc fust ès bateaulx, mais que c'estoit le grant maistre d'hostel du Roy de Castille, qui alloit vers Flandres, lequel, pour le maulvais tamps, s'estoit là retiré. Or ne sçay comment ce seigneur d'église le feist. Mais tant y a que dès le soir ceulx de la ville sceurent que le seigneur don Fernande, frère du Roy de Castille, estoit là arrivet. Et le sceulx par ce que l'ung de ceulx de la ville le me dict, quant en la ville me trouvay, lequel parloit bon franchois. Or, de bien venir, nous leur estions les bien-venus, pour l'amour de mondict seigneur.

Cy parlerons ung petit du pays d'Irlande.

Le pays d'Irlande, que les aulcuns nomment Hybernye, c'est un pays oultre le pays de Cornuaille, envyron XL lieuues pardelà, et n'y a qu'ung bras de mer qui passe entre deulx. Monseigneur l'archiduc arriva à ung port de ceste contrée, nommet Quinquesalle; et je, venu en ce lieu, me accoinctay de ung honneste anchien homme, natif de là, à cause qu'il parloit bon franchois. A cestuy je eulx pluisieurs devises, à cause que de ce pays en avoye trouvé par escript diversses choses et estranges; par où je luy vins à demander de la nature de ce pays là, lequel me dist que c'estoit ung bon fertil pays, doué de bonne terre, et malvaises gens dedens. Auquel pays y avoit des bonnes villes, des belles rivières et des beaulx lacqs et bonnes fontaines, aussi des bonnes terres à labeur, bonnes praeries et des belles forestz. Et que là n'y povoient vivre nulles bestes venimeuses, plus de XXIIII heures; et pour en veoir l'expérience me dist que portasse aveucq moy du bois, des pierres ou de la terre de ceste contrée, et que partout où


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me trouveroye, me préserveroit contre touttes bestes venimeuses. Disoit aussi, que les gens campestres de ce pays sont ruides et bellicqueulx et ont leurs demeures soubz terre, contre les grandes froidures et ruides ventz qui là courent au tamps d'yver. Je lui demanday pourquoy les aulcuns de ce pays avoient les visaiges machurez20 de sang, selon que les y avoye veus; il disoit que ce faisoient ilz, pour estre préservez des jaunes taches que nous apellons espintellures21, de quoy pluisieurs en ont les viaires22 plains, qu'ilz gaingnent au tamps d'esté, quant il faict des grandes chaleurs. Car, en ce pays, les hommes y vont à teste nue, ayans les cheveulx tondus et racourchiez pardessus les oreilles. Ces campestres et gens du plat pays ne font poinct d'estime de faire desplaisir à l'ung l'autre, à cause qu'il ne se faict nulle justice en Yrlande, et principallement au quartier où monseigneur arriva. C'est le quartier où les sauvaiges se tiennent; parquoy la rigalle23 y court plus que aultre part, et les plus forts y pillent les plus foibles, quant ilz les prengnent en hayne: tellement que tel a pour ung jour mil bestes à cornes, qui le lendemain ne a pas une; mais s'il s'en poeult vengier, à l'aide des siens, faire le poeult, car aultre rayson ne aura. Disoit que en chascune ville y avoit autant de seigneurs contraires l'ung à l'aultre; à cause de quoy convient aux passants de ville en aultre, avoir nouveau passeport, qui est une mengerie24 et grande composition25 pour tous passans, ou aultrement on ne sçaroit passer le pays, sans estre pillet. Disoit aussi que à certaines fois en l'année, ces sauvaiges et gens campestres ne failloient point de, en grant nombre, venir fouragier26 la ville et les habitans de Quinquesalle, et que, en tamps passet ilz les souloient tous pillier et ochir les contredisantz; mais maintenant ilz ont trouvet ung expédient de les rechepvoir joyeusement et les festoyer, bien donnera boire et mengier, et au partir leur donner quelque petitte souvenance; mais contre leur venue ilz muchent27 leurs bonnes baghues28 de peur de les perdre. En ce quartier là, la mer y est fort périlleuse, et n'y poeult on aller en tamps de yver que à bien grant péril. Ce pays d'Irlande est une isle, enclose de mer: laquelle isle a bien deulx cens lieuues de long et cent trente lieuues de large. Les

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habitans y sont fort estrangement et faément29 acoustrés; et volderoye bien que le vous seuysse si bien deschiffrer que pussiez entendre comment ilz sont habillés, selon que les ay veu, tant les hommes que les femmes. Car à les veoir, c'est assés pour en rire. Premièrement les femmes mariées y portent leur achem30 et coevrechiefz de thoille, les aulcunes jaunes et les aultres blancqz. Quant ce sont femmes d'estat, elles ont chemises à larges manches, ouvrées autour du col et par les coustures d'ung ouvraige de soye de diversses couleurs. Entre lesquelles beaucoup en y avoit qui avoient les cheveulx tondus devant et derrière, saulf deulx louppes31 de cheveulx à deulx costez, qui sont d'une aune de loing, qu'elles treschent, comme les enffans pardechà font des chapeaulx de joncs, puis les asseurent, affin qu'ils ne se destreschent. Et combien que pardessus achemées soient, si pendent ces deulx louppes de cheveulx ainsi treschiez, jusques à leurs chaintures pardevant, assez bien, de la sorte que ces femmes mectent leurs boutz de leur coevrechiefz, quant elles se achement à patelette32. Ces femmes y ont leurs cottes33 ou cotelettes ponchonnées34 ainsi qu'on les soloit porter au tamps passé, et ont à l'endroict de leurs tetins des rondz eslevez, pour y bouter leurs sains: et se portent, pardessus leurs robbes, des larges tissus et larges coroies; et les aulcunnes estoffées de belles bloucques35, les aulcunes d'argent doret, aussi de cuyvre, metal ou leton, chascune selon sa puissance. Leurs robbes sont à larges manches, ouvertes du loing des bras, lachiés à traillette bien gentillement. Communement les hommes, femmes et josnes filles, portent leurs chemises, depuis la chainture en hault, ouvertes, et n'y avoit aultre différence, sinon que les chemises des femmes sont, comme pardechà, larges par bas, faictes à ghérons36, pour y bouter quatre genoulx, si le cas y escheoit. Pourquoy la pluspart des josnes femmes et filles ont la poictrine nue, jusques à la coroie; et n'est là non plus de chierté37 de veoir ou de manier le sain d'une fille ou femme que de manier sa main. Et pour ce, autant de pays, autant de diversses ghuises et manières de faire. Pardechà on se mocqueroit, pour cause que ce n'est poinct la coustume, sinon à

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gourdinette38, quant Robin et Marion se accollent par amourette. Là y veys-je des sains de touttes sortes, selon les eages. Je y veys des tetins que ces filles de XII ans ont; après des tetins, quant elles avoient de XIIII à XV ans, que lors ils commenchoient à eux nouer et poindre. Aussi y veys je des tetins tous venus, si très rondz et eslevés que c'estoit plaisir de les veoir, comme pardechà ont ces filles à marier de XVIII ans et en dessus. Je y veys aussi des tettes de diversses fachons: des moyennes, des grosses, touttes parées et de plaine main, que on pouroit apeller durs mollez. Et je en veys dessi woilleuses39 et mal savereuses40, que je m'esmerveille où les petits enfans journellement rechepvoient leur nourriture. Aussi y en veys des aultres qui ne valloient poinct que on les regarda, tant estoient lays et crépis, et ne leur sçaroye bailler aultre nom que tatices wataces41. Les femmes et filles y portent chausses de couleurs, rouges, verdes, et telles que bon leur samble, myeulx estricquiés et tendues de jartières que n'ont celles de Castille. Elles portent petits soliers à singles semelles, bien jolys et mignotz, ouvrés pardessus d'aultres couleur de cuyr et parfois doretz de cuyr estainnet, comme s'il estoit doré, et comme j'ay veu porter les enffans parcy-devant, quant on leur achetoit des soliers de ducasse42. Là y ay-je veu tout plain de belles josnes femmes et aussi des filles à marier, bien gentilles et plaisantes; lesquelles josnes filles à marier vont à teste nue en esté tamps, ayans leurs cheveulx racourchiez à la manière des compaingnons de par- dechà; et mectent dessus leurs testes ung cranschelin43 de fleurs ou de verdures. Là oys-je dire à aulcuns de noz gens — ce que poinct ne croys — c'est que il n'estoit poinct de chierté de les avoir, voires aultres que celles qui sont corrompues et qui ne demandent aultre chose. De telles il en est partout bon recouvrer. Certes ces josnes filles me sembloient bien plaisantes et amorreuses. Se plus on eult là séjourné, on euist myeulx poeult aprendre leur manière de faire. Là où pourtant n'y ay veu que bien et honneur. Mais il me est venu à mémoire l'histoire d'ung sauvaige et de une josne fille, que je veys une matinée, et ay regrect que ne le racomptay à ceste

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homme à qui j'avois faict acquainctance, pour ce qu'il parloit bon franchois, pour oyr de luy ce qu'il me eult dict. Car de ceste besongne fort me esmerveillay. Le cas fut tel que une matinée, bien temprée, que il n'estoit pas plus de quattre heures, ainsy que me pourmenoye sur l'altre44, attendant que on ouvrist l'église, veys venir, du loing d'une rue, ung josne homme, acoustré comme un saulvaige, lequel s'en venoit tout parlant à une belle josne fille. Quant se trouvèrent à l'endroict de l'église, ce compaignon print par force ceste fille, et l'atira, à demy traynnant, dedens la cymentière, combien que elle y contredisoit et résistoit à son povoir. Mais cela ne luy ayda, qu'il ne la menat par force jusques au portal de l'église. Illec venus, ce josne homme feist de sa main le signe de la croix contre le mur de l'église et le baisa; et ce faisant vouloit que la fille en feist autant; mais elle n'y voloit entendre, quelque prière ne remonstrances qu'il luy seusist faire. A ceste cause il y alla de main mise et la print par les cheveulx et luy donna plusieurs horions parmy la teste et la viaire, tellement que, à force de batre, la contraindit à faire comme il avoit faict. De leurs devises, qui estoient haultes et ruides, ne vous sçaroye racompter, pour ce que point ne les entendoye, mais tant en sçay, que quant elle eult faict ce qu'il désiroit que elle feist, il l'accolla et baisa; puis s'en allèrent tout brachiant45 et devisant ensemble, assés bien contens de l'ung l'aultre à mon advis. Certes, à ce tant rigoreulx mistère, ne me sçavoye entendre ne ymaginer se ce estoit une paix, fianchaye ou mariage de louvat46, à quictier l'ung l'aultre le lendemain. Or, quelle la fin en fut, je ne sçaye, par ce que ilz s'en allèrent. A la vérité, l'entrée de l'acquainctance fut asssés ruide et mal gracieuse, pour puis après s'en aller ainsi brachiant. Se je fusse esté hardi, je devoye assister la fille, mais c'estoit pour néant. Parquoy couwart ne eult jamais belle amye, ne fera beau faict. Or, tout bien considéré la deffence de par monseigneur l'archiduc servoit bien à mon propos pour une gracieuse excuse. Car il nous avoit interdict, à péril de non retournier aux bateaulx, que nul ne prenist noise à ceulx de la ville ; et quant deffence n'y eult esté jamais faict, si ne eussè je aultrement faict que je feys. Après que avés oy de l'acoustrement des femmes et filles, orez comment

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les hommes y sont acoustrés. Certes, encoire plus faement47 que les femmes et principallement les gens campestres et sauvaiges; car ils sont tondus et bertaudés48 une palme pardessus les oreilles, tellement qu'il n'y a que le dessus de la teste couvert de cheveulx. Mais à l'endroict du froncq ils laissent envyron une palme de leurs cheveulx venir de la longueur de leurs sourcieulx, comme ung toupet de poil que on laisse pendre aulx chevaulx entre deulx yeulx. Ilz se font barbier estrangement; les aulcuns rere49 leur barbe jusques à la bouche en hault, et les aultres de la bouche en bas; les aultres se barbient par places, et laissent venir leurs barbes par houpeaulx. Ces hommes y ont leur chemise ouverte, jusques à la coroie, sans y avoir des manches, parquoy ont les bras nudz. Se chaindent de ung grotz linge qui vat tour et demy autour d'eulx, et leur vat près du col du pied, et vont à piedz nudz et jambes nues; et si ont à leurs coroyes de très périlleux bastons50, à manière de dollequins51 à trois carrés, ayant la manche comme un cousteau taille-pain, de quoy l'allumelle52 a plus d'une aune de loing. De ce périlleux baston se sçavent bien aydier, en le gectant contre leurs malveullans; de sorte que se ilz le ataindoient, le ochiroient et percheroient de part en part, tant en sont bien usitez. Aveucq ce portent une rapière à large allumelle qu'ilz pendent en escharpe; pluiseurs ont des boucliers et des dardz et raillons53. J'en ay veu qui avoient des petis arcz turcquois, qui n'avoient pas une aune de long, de quoy la corde estoit ung grotz nerf et les flesches estoient roseaulx ferrés et empennez pour tirer. Ces hommes se vestent et affullent de grotz velus manteaulx, pardessus leurs testes comme en Brabant les femmes y affullent leurs heucques54; lequel manteau ne leur va qu'à demy quartier oultre la coroye; et pardessus ce ung long escourcoeul55 de linge. Ainsi tondus, bertaudés, embastonnez56 et à piedz nudz —ainsi que dict est— ymaginez se cest acoustrement est bien faé57 à regarder. Certes ouy, et autant plus que jamais en paincture ne veys plus fae chose. En ce quartier, pour leur bruvaige, ne usent que de laict et de eauue. Ilz sont fort adonnez à gerroyer l'ung l'autre, sans querelle, sinon par maise58

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volunté. J'ay veu de ces sauvaiges, aussi rades59 aux champs — comme on disoit — que seroient chevaulx; ne sçay qu'il en est. Et me fut dict que les manans de la ville ne oseroyent aller hors de la ville en leurs affaires, sans estre fort acompaingniés et bien embastonnez, pour les sauvaiges, qui sont les maistres des champs; et là où ilz se trouvent les plus forts, ilz pillent ce que ilz troeuvent. A ce jour de dimence, que l'on arriva à ce port, qui estoit le VIe de juing et XIe jour du voyage, le controlleur Jacques Artus, Jan de Camsin et moy aveucques aulcuns Espaingnars, allasmes aveucq ung boit60 couchier en la ville de Quiquensalle, pour y faire bonne chière, sans portant sçavoir s'ils nous tenoient pour amis ou pour ennemys. Touttesfois, soit que leur fuissions amis ou ennemys, tousjours estions nous en leurs mains. Et quant nous nous trouvasmes au milieu d'eulx, par grant admiration, nous venoient regarder comme nous eulx; et nous leur samblions aussi estranges que eulx à nous. Or, de bien venir, ainsi que nous devisiesmes ensamble, trouvasmes ung honneste anchien bourgois de la ville, qui entendoit et parloit nostre langaige franchois, à cause que en sa jonnesse avoit demeuret en Normandie, comme il disoit. Cestuy s'adressa à nous, et nous offrit finablement, après pluiseurs devises, assistance et adresse, affin de estre honnestement logiet et traictiet, comme il fist. Et ainsi que de l'avoir trouvet estiemmes joyeulx, pour la bonne adresse qu'il nous présentoit de faire, pariellement estoit bien aise de nous, pour le désir qu'il avoit de sçavoir des nouvelles du Roy, nostre sire, et aymoit myeulx de nous assister que les Espaingnars, à cause poinct ne les entendoit parler. Cestuy nous mena logier en la maison de sa soeur, assçavoir en l'une des bonnes maisons de la ville, laquelle estoit anchienne vefve, bien honneste, réalle61, et preste à faire bonne chière aux gens de bien, et nous rechupt joyeusement en sa maison, pour l'amour de son frère, et nous fist très bonne chière, et nous rechupt comme dessus. Et combien que de nostre venue ne sceuist riens, jusques elle nous veyt, si trouvasmes nous tout plain de bien en sa maison, comme froides espaulles de mouton rosties, du froict hochepot, et des fortz bons pastez de gigotz froictz. Et à cause que fu piessà n'avions trouvet de si bonne viande sur la mer, nous y festoyasmes et y feismes tant

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milleure chière. En devisant à table, au frère de nostre hostesse, il me alla souvenir et luy dire que aultresfois avoye oy dire, que en Irlande estoit le lieu que on disoit le Trou Sainct-Patrice, et là où il faisoit sa pénitence, assavoir mon62 se il estoit vray. Me dist oy. Mais ne sçavoit que par oyr dire. Mais se aulcune chose en désiroye sçavoir, il le demanderoit voluntiers à sa soeur, qui dès sa jonnesse y at este, lorsque elle estoit à marier, et en l'eage de XV ans. Je, désirant en oyr quelque chose, selon la vérité, luy priay qu'il en demandast à sa soeur ce qu'elle y avoit trouvet, et le nous racomptast, comme il feist. Laquelle soeur luy en feist ung long prologhe. Et, icelluy finct, luy demanday où et en quel quartier estoit ce Trou de Sainct-Patrice, quelle chose il convenoit faire pour y aller, pourquoy on y alloit, quelle chose on y trouvoit, veoit ou ouoyt, et combien de tamps on y séjournoit? Après qu'il en eult adverti sa soeur, et qu'elle luy eult respondu à mes demandes, disoit que ce lieu estoit bien distant de là cent (iiijxx) lieuwes, assavoir tout près de la mer, sur le quartier d'Escoche. La cause pourquoy on y alloit, estoit pour gaingnier les pardons, qui pleniers de paine et de coulpe, par certains jours en l'année, à tous cœurs contrits, confès et repentans. De ce qu'il convenoit faire pour y aller, elle nous feist dire, que quant elle se trouva là, aveucq aultres, assavoir en une abbaye de moysnes, l'abbé dist à tous ceulx qui estoient là venus, à intention de entrer dans ce trou: ‘Mes amis, je vous advise, remonstre et advertis des périlz qui poeullent bien advenir à aulcuns de vous; car se vous josnes gens, par legièreté et sans avoir bien penssé à vostre affaire, estes cy venus pour descendre en ce trou, affin d'avoir rémission de voz péchez, bien en povez avoir rémission, en divers aultres lieux, parmy le pays, que icy, là où Nostre Sainct Père le Pappe y a concédé des semblables pardons, sans cy vous venir exposer ès dangiers qui à pluiseurs sont advenus. Touttesfois vostre intention ne voeul loer ne blasmer: car chascun de vous doibt estre si saige que de sçavoir ce qu'il at à faire. Pour ce, pensés y autant qu'il vous compète.’ Nonobstant ces remonstrances et bonnes admonicions, l'abbé ne sceult divertir ces pelerins de furnir et acomplir leur intention; pourquoy d'un commun accord, qu'ilz avoient de piessa penssé à leur cas, en le remerchiant de ses bonnes remonstrances et priant qu'il les vollist rechepvoir pour aller au trou, où le gloryeulx

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amy de Dieu, saint Patrice, avoit faict sa pénitence, le requérant qu'il luy pleut les advertir de ce qu'ilz avoient à faire pour y salutairement entrer. ‘Or, de par Dieu,’ dist l'abbé, ‘puisqu'estes délibérés d'entreprendre ceste charge, besoing vous est que par XII jours entiers junés au pain et à l'eauue, et qu'après avoir bien penssé à voz pechez, tous les jours vous vous confessés et reconsielliés, se il vous souvient de aullres péchiez que aviés oubliet à confesser, affin que faictes enthière confession, en demandant à Dieu humblement pardon. Puis, par trois jours, avant que entrés en ce trou, rechepverez, par chascun jour, le Sainct Sacrement de l'Autel.’ Comme ils firent. Puis, quant ce vint à les mener et enclorre dedens, l'abbé, aveucq ses moysnes, les y convoya à belle procession, jusques à l'huys63, en leur disant: ‘Mes amys en Jhesu-Crist, je prieray, aveucq mes frères religieulx, à Dieu qu'il vous soit en ayde, et vous donne grâce de retourner à vostre salut. A l'entrer dedens, vous vous saingnerés du singne de la croix, et demain à ceste heure, vous feray ouverture: car c'est la coustume de demorer en ce lieu XXIIII heures; pendant lequel tamps prirés Dieu mercy, affin qu'il vous doinst sa grâce; et vous garderés, pour quelque chose qui vous poulroit aparoir, de non dire aultre chose, sinon: Jhésus, Maria, en vous [ballot] signant de la croix. Et demain, à cest heure, vous viendray défermer.’ Comme il feist. Puis sortirent tous dehors, et estoient onvyron XII personnes. Et combien que nostre hostesse avoit aultreffois oy dire, que en ce lieu on y veoit merveilles, à cause de quoy de tant plus elle apétoit64 à y aller, ce nonobstant n'y veyt ne oyt riens. Car, après qu'elle y eult longhement veisliet en contemplation, et priet Dieu dévotement, selon qu'elle en avoit esté admonestée, finablement elle s'endormy, et y demeura dormant le plus du tamps, et remerchiant Dieu de ce que riens n'y avoit veu, ne oy. Mais elle a bien mémoire qu'elle oy dire et racompter à aulcuns de leur compaingnie, qui disoient y avoir eu des visions et oy merveilles, de choses hideuses et effréables. De ce que c'estoit, elle le at oublyet. Et combien que josne estoit, si a elle bonne mémoire de la fasson de ce lieu, que l'on dict estre le Trou Sainct-Patrice. Disoit que c'est un petit lieu, bas et obscur, là où, pour y entrer, fault descendre quelque peu, et est de si bas estage, qu'on n'y sçaroit estre debout; et n'y fauldroit poinct plus de XX personnes, pour

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emplir le lieu. Ce samble estre ung petit celier, là où parmy y passe ung petit ruysseau de eauue doulce, qui n'a que demy pied de large. Premier qu'elle y entroit, cuydoit trouver ung lieu large et ample, et aller de lieu en aultre — selon qu'elle en avoit oy racompter — et y trouver des merveilleuses aparitions, et finablement se trouver en ung délectable vergier. Parquoy il poeult sambler, de ce que les aulcuns y disoient avoir veu merveilles, que ce ne sont que visions de songes, qui leur sourviennent en leur dormitions. Si, par cy-devant, ce lieu at esté plus grant et depuis condampnet et estouppé65, de ce ne scet riens, sinon que il n'estoit point lors aultre que avés oy. Ce lieu est en l'église, derrière le chœur, dessoubz d'ung aultel à dire messe. Je croy que la bonne anchienne damoyselle, nostre hostesse, en disoit la vérité, combien que aultreffois en ay trouvet, par escript, merveilles. Or, qui plus avant en désire sçavoir, lise la légende de sainct Patrice, là où il polra oyr des visions, qui par divine permission il est advenu à aulcuns, pour, en lisant icelles donner terreur et crainte aux maulvais chrestiens, affin qu'ils se amendent. Desquelles visions me départeray, pour revenir à parler de la venue de mondict seigneur don Fernande en Irlande.

Pendant que l'on y estoit, assavoir depuis le dimence jusques au mercredi, les seigneurs de Saimpy, du Reux et de Moulembais, aveucq aultres, par pluiseurs fois, se partirent des bateaulx et se allerent faire bonne chyère, pour eulx rewauvrer66 et rafreschir en la ville de Quinquesalle; assavoir l'ung après l'autre, affin que monseigneur ne fust point qu'il n'eust tousjours, en sa compaingnye, l'ung d'iceulx. Pariellement firent les gentilzhommes et tous ceulx qui estoient ès bateaulx. Les aulcuns se refaisoient autour du bon vin et des nouvelles viandes: et les aultres aveucq les belles filles; et ainsy des aultres, ainsi que chascun l'entendoit. Monseigneur poinct n'y vint, combien qu'il wida67 de son navire, pour soy aller esbatre aux champs. En ce pays a beaucop de bestial, comme brebis, chièvres et vaches. A cause de quoy ont beaucop de laicteries, de quoy ilz usent, parce qu'ilz n'ont poinct d'aultre bruvaige en habondance. En ce lieu de Quinquesalle, je y oys chanter une haulte messe, et y faire le service divin bien dévotement et honnorablement. Et estoit leur chant de contrepoinct, qui


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n'est discant68 ne plain chant; mais ilz ont une toutte aultre manière de chanter que pardechà. Le lendemain, qui estoit le lundi, ceulx de la ville furent tous certains que don Fernande, frère au Roy catholicque, estoit arrivet celle part. Parquoy les seigneurs de la ville luy prièrent que ce fut son plaisir de venir en la ville, où qu'ilz le peussent aller veoir, pour luy faire la révérence. On leur accorda de le venir veoir. Lesquels y vindrent à belle compaingnie: les aulcuns parloient ung petit de franchois, et les aultres anglois. Trouvèrent mondict seigneur — aveucq sa seignourie et baronnye — couvert d'ung ciel de drap d'or, contre la chaleur du soliel. Quant arrivez furent, on les feist aprochier, et là, de aussi tost qu'ils le perchurent, se misrent à genoulx, pour luy faire la révérence; et en aprochant de plus près, aultres révérences, et ce jusques à trois foys. Quant tout près de luy se trouvèrent, lors l'ung d'iceulx, qui avoit la charge de parler, dist en latin, telles parolles en substance: ‘Très hault, très illustre, très puissant prince, les députez et gardes de la ville de Quinquesalle, ensemble tous les nobles, aussi bourgois, marchans et tous les habitans, nous ont chargiet vous venir faire la révérence, en vous présentant corps et biens à vostre service, en vous priant que leur pardonnez que tant ont tardé à ce faire. La rayson si a esté que bien dès hyer sçavoient la venue des bateaulx, mais non au vray que vostre personne y fust. Et pourtant ce c'est vostre plaisir de venir en la ville, vous serés le bienvenu, et tous voz gens: en vous priant que nostre faulte nous veulliez pardonner, qui n'a pas esté par malice, mais seullement par ignorance. Car au Roy, vostre frère, et à vous, désirons singulièrement à faire service, selon nostre possibilité. Ce scet Dieu, qui, par sa grâce, vous acroisse en sancté, honneur et prospérité.’ A la vérité, se euissiez veu la bonne grâce et contenance que monseigneur leur tenoit, vous y euissiez prins plaisir, à cause de la joyeuse chyère69 qu'il leur monstroit, comme si par ce, eust volut donner à cognoistre que leur venue et visitation luy estoient agréable, et leur en sçavoit bon gré. Leur propos fine, il se tourna vers ses nobles, pour adviser quelle responce on leur feroit. Après icelle conclute, le seigneur du Reux porta les parolles et leur dist, aveucq le chief nud, pour l'honneur de mondict seigneur qui pluiseurs foys luy disoit ou dict qu'il se couvrist: ‘Messieurs,

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monseigneur nostre maistre m'a ordonnet de vous dire qu'il vous remercie grandement de vostre visitation et de la bonne voeulle que avés envers le Roy son frère et luy, ensamble du service que luy présentés. A ceste cause, s'il est chose en quoy il vous puist faire plaisir, vous le y trouverez tout affecté.’ Après ce, en leur retirant, le remerchièrent bien humblement; mais le seigneur du Reux leur avoit fait aprester, en sa chambre, le bancquet, où ilz furent bien festoyés, et tellement que, quant ils se retournèrent en la ville, Dieu scet le bon raport qu'ilz firent, tant de la bonne grâce que avoit mondict seigneur, — de quoy le extimèrent fort — comme de la bonne chyère qu'on leur avoit faict sur les bateaulx, selon que nostre trucheman le nous racompta, lequel les avoit oy deviser comment, après la révérence faicte, on les avoit festoié par l'ordonnance de mondict seigneur. Certes les habitans de la ville, pour autant que y fusmes, nous monstroient grant amitié, et disoient que jamais n'avoient veu aussi josne prince avoir si bonne grâce, ne si asseuré, ne plus gracieulx seigneurs que estoient les seigneurs de entour luy, ne qui myeulx payoient. Le mardi, XIIIe du voiage, le vent devint bon. A ceste cause on se hasta d'embarquer les nouveaulx vivres fraictz, que l'on avoit là achetés pour le ravitaillement des bateaulx. Le vent se estoit mis zud-west. Le lendemain XIIIIe du voiage, encoire continuoit le vent; mais premier que on feist voille, quelque grant seigneur d'Irlande, adverti que monseigneur estoit là arrivet, luy envoya certaines coupples de beaulx chiens et fort puissans lévriers. De quoy monseigneur fut fort joyeulx, et en feist remerchier ce seigneur en luy offrant le cas pariel, luy estant arrivé en terre. Et fist à son serviteur donner le vin. Or, premier que on sceuist faire voille, fut bien quattre heures de l'après-disner, à cause que les vivres ne povoient estre plus tost embarcquiez. Pendant ce tamps vint, devers monseigneur, en son bateau, ung josne homme saulvaige, bertaudé, tondé et embastonné, comme les aultres sont; et estoit cestuy serviteur à ung seigneur du pays, et de luy fort aymé, pour les gentillesses et propriétés qui en luy estoient. Et estoit là venu pour faire quelque récréation à mondict seigneur, avant son partement, aveucq un harpe que son serviteur luy portoit. De laquelle ce sauvaige en jouoit fort bien gorgiasement et se chantoit quant et quant. Je demanday à ce trucheman, quelle chose cestuy chantoit. Il me dict que c'estoit une bien dévote et piteuse chausson, sur le mistère de la passion de nostre Saulveur Jésu-Crist. Cestuy

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nous racompta, de icelly saulvaige, merveilles, disant que en luy y avoit trois singulières propriétés, parquoy de son maistre estoit tant aymé, disant pour le premier, que c'estoit le non pareil aux aultres en vaillance et hardiesse, et l'aymeroit myeulx son maistre auprès de luy que six aultres, pour se trouver contre ses ennemys. Aussi cestuy est si rade70 du pied, que il court comme ung cheval et aussi tost. Et davantaige il naige en toutte eauue, comme feroit ung poisson, tellement que, au command de son maistre, avoit souvent saulté en plaine mer et luy rapporta du poisson, quant la mer estoit doulce et paisible. A ceste cause, luy fust demandé se, pour l'amour de monseigneur, en la mer saulter voldroit. Il respondit que il feroit volontiers ce que monseigneur luy commanderoit, combien que il faisoit lors ruide en mer. Par où il donnoit à entendre que il n'avoit poinct à coustume de soy y bouter par si ruide tamps. Toutesfois si les pilottes n'eussent poinct si fort hasté le partement, il eult encommandement de y saulter, par le désir que aulcuns seigneurs avoyent de le veoir nagier. Et avoit cest art de soy longhement tenir dessoubz l'eauue, sans soy amonstrer, tellement que qui le veoit si longhement muchiet soubz l'eauue, on cuideroit qu'il fut noyet; et ce nonobstant il revient, sans estre empiré ne grevé. Se ainsi est que on le disoit, c'est chose singulière et de grande admiration, et diroye qu'il aroit esté produit et engendré de gens marins, et tenant de leur nature. Toutte ceste emprinse se fut rompue, pour les pilotes, qui dirent et signifièrent que tous ceulx qui n'estoient des gens de monseigneur, que ilz se partissent du navire, car on alloit faire voille. Pourquoy ce sauvaige print humblement congiet de monseigneur et de la seigneurie. Là luy feist monseigneur donner le vin.

Ainsi que luy, aveucques aultres, se disposoient pour sortir des bateaulx, arriva un boit vers le bateau de monseigneur, là où dedens estoient quattre compaignons de noz gens, qui estoyent assés mal conditionnés et maulvais garchons, lesquelz avoient faict pluiseurs effroys et insolences, tant de débatz que de hanssagier71 filles et pluiseurs aultres garchonneries72; de quoy le seigneur du Reux en avoit adverti monseigneur l'archiduc. Iceulx venoient prier mercy à mondict seigneur, affin qu'il leur pardonnast. Mais ledict seigneur du Reux dict à monseigneur que puisqu'ilz avoient enfrainct


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son édict, que poinct ne les devoit souffrir entrer en nulz navires, mais les laisser es mains de ceulx de la ville, pour en prendre la correction, ou les laisser revenir par terre, sur leurs périlz et fortunes. A quoy mondict seigneur dist, que c'estoit rayson de faire ainsy; mais avant ce feroit bon de sçavoir à ceulx de la ville se ainsi estoit, et de savoir se ces compaignons sont coustumiers de faire ainsi, et puis en faire comme dict est. Et pour ce que on les trouva estre de povre gouvernement73. on ne les rechupt pas ès navires, mais les renvoya en la ville. Touttesfois, à la requeste du seigneur de Saimpy, ung tambourin eult grâce et fut mis au bateau de monseigneur, et les trois aultres retournèrent à Quinquesalle aprendre irlandois. De quoy l'ung d'iceulx estoit natif de Lille, comme le tambourin disoit. Sitost que les estrangiers furent hors du bateau de mondict seigneur, on feist voille pour venir vers Flandres.